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Notre billet de la finance responsable daté du 07 avril 2021 évoquait les lois existantes et en cours de discussion, relatives au devoir de vigilance des entreprises, à savoir l’obligation pour ces dernières d’identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs de leurs activités sur les droits de l’Homme et l’environnement et ce, sur l’ensemble de leur chaîne de valeur (activités directes, fournisseurs, sous‑traitants...).

Pour nous dresser un bilan de la situation aujourd’hui, nous avons interviewé Claire Bright, professeure associée de la faculté de droit de l’université NOVA de Lisbonne, où elle a fondé le centre universitaire « Entreprises, droits de l'homme et environnement » dont elle assume toujours la direction. En 2020, elle a été l’une des principales auteures d'une étude commandée par la Commission européenne sur les pratiques des sociétés européennes relatives au respect des droits de l'homme et de l'environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement. Sur la base des conclusions de cette étude, a été lancé un processus législatif visant à aboutir à une directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises. Claire Bright a également publié en 2021 un rapport pour le compte de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur l’impact des lois relatives au devoir de vigilance des entreprises en vigueur dans différents pays.

Quel est l’arsenal juridique existant et pourquoi est‑il nécessaire de légiférer sur le devoir de vigilance ?

En matière de respect des droits de l’homme par les entreprises, il y a eu historiquement 3 grandes phases de régulation. Dans les années 90, en réponse à certains scandales majeurs, les entreprises ont tenté de s’autoréguler, en adoptant des codes de conduite. Les résultats n’étant pas à la hauteur, se sont ensuite développés dans les années 2000, au niveau international, des instruments juridiques non contraignants comme les « Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme » ou les « Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales », adoptés en 1976, mais révisés en 2011 pour s’aligner sur les Principes directeurs de l’ONU. Ces instruments juridiques marquent une étape décisive dans la prise de conscience de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains. Ils proclament que les entreprises devraient éviter de causer ou contribuer à des incidences négatives par le biais de leurs activités ou celles de leurs relations commerciales et clarifient la façon dont les sociétés peuvent le faire au travers de la mise en place d'un processus de diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier, de prévenir, d’atténuer et de rendre compte de la matière dont elles traitent leurs impacts sur les droits humains. Malgré tout, encore une fois, ces approches non contraignantes se sont montrées insuffisantes, ce qui a poussé à l’émergence d’instruments juridiques contraignants qui imposent aux entreprises un devoir juridique de mettre en place de tels processus de diligence raisonnable. La France a été pionnière avec la loi sur le devoir de vigilance promulguée en 2017, suivie ensuite par l’Allemagne et la Norvège. Et actuellement se discute au niveau européen la « Corporate Sustainability Due Diligence Directive » (CSDDD), un projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Ces instruments juridiques contraignants s’avèrent plus que nécessaires, car les approches volontaristes se sont montrées insuffisantes tandis que les violations des droits de l’homme sont toujours présentes : selon l’OIT, 27,6 millions de personnes dans le monde sont soumises au travail forcé et selon l’UNICEF, 160 millions d’enfants (soit 1 enfant sur 10) travaillent.

Quel bilan peut‑on faire des lois existantes sur le devoir de vigilance ?

Nous avons du recul sur la loi française essentiellement, les lois allemandes et norvégiennes étant plus récentes. Les différents rapports publiés sur sa mise en œuvre soulignent que les entreprises ont réalisé des progrès notables et qu’elles ont été nombreuses à déployer des plans de vigilance ou à renforcer les plans existants. De plus, cela a fait progresser, par ricochet, un certain nombre de fournisseurs et sous‑traitants de tous pays, positionnés dans la chaîne de valeur des entreprises concernées par la loi française. Enfin, la loi française a le mérite de prévoir des voies de recours judiciaires permettant l’indemnisation des éventuelles victimes. Ainsi, alors que les recours contre les entreprises en cas d’atteintes aux droits humains étaient auparavant compliqués et donc rares, ils sont désormais facilités et leur nombre est en augmentation.

Néanmoins, des marges de progrès existent. Les entreprises n’associent pas suffisamment l’ensemble de ses parties prenantes (salariés, ONG, syndicats...) lors de la définition et du déploiement de leurs plans de vigilance et ces derniers restent trop souvent cantonnés aux risques pour l’entreprise alors qu’ils devraient englober les risques pour l’ensemble de la société civile.

Que peut‑on attendre du projet de directive européenne ?

La CSDDD s’appliquera aux plus grandes entreprises européennes, mais également à certaines entreprises non européennes opérant en Europe, selon des critères liés au nombre d’employés et au chiffre d’affaires encore en discussion.

La loi française sur le devoir de vigilance a clairement ouvert la voie et inspiré le projet européen, mais la CSDDD va plus loin, notamment sur 2 points. D’une part, la CSDDD prévoit la création d’une autorité de contrôle étatique au sein de chaque État membre qui pourra prononcer des sanctions : en cas d’atteinte aux droits de l’homme ou à l’environnement, une entreprise pourrait donc être amenée à payer des indemnités aux victimes, mais également à payer des amendes à l’État. D’autre part, la CSDDD via son article 15 exige spécifiquement des entreprises un alignement de leur politique environnementale avec un scénario 1,5 °C, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.

En termes de calendrier, les discussions en « trilogue » c’est‑à‑dire entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen sont en cours et visent à trouver un compromis entre les positions des trois entités. Nous pouvons envisager un accord au mieux pour début 2024. Les États membres auront ensuite 2 ans pour transposer la directive en droit national. Cela peut paraître long, mais cela permettra aux entreprises de se préparer et d’anticiper l’entrée en vigueur de la loi.

Que peuvent faire les investisseurs ?

Nous ignorons encore si les institutions financières feront partie du champ d’application de la CSDDD puisque les positions du Parlement, de la Commission et du Conseil européen sur le sujet divergent. Mais les investisseurs ont un rôle à jouer en tous les cas, puisqu’en tant que financeurs, ils sont en position de pousser les entreprises à faire évoluer leurs pratiques et à adopter une conduite responsable tout au long de leur chaîne de valeur. Par ailleurs, les Nations unies ont réaffirmé que les instruments juridiques internationaux en matière d’entreprises et de droits humains (dont les principes directeurs des Nations unies) étaient applicables aux investisseurs, et même s’ils restent, pour le moment, non contraignants, ils n’en demeurent pas moins la norme de référence à l’échelle mondiale, cristallisant les attentes de la société en la matière.

Achevé de rédiger le 17 novembre 2023

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