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Transition ou Sécurité énergétique, un choix cornélien ?

La guerre en Ukraine met en lumière le rôle critique de l’énergie dans nos économies. Les sanctions occidentales et les tensions qui en ont suivi sur le marché de l’énergie font craindre un troisième choc pétrolier.

Le propos de la présidente de la Commission Européenne illustre bien le dilemme actuel auquel font face les pays occidentaux : « Nous devons agir maintenant pour atténuer les effets de la hausse des prix de l'énergie, diversifier notre approvisionnement en gaz pour l'hiver prochain et accélérer la transition vers une énergie propre ».

Face à cela, 2 options coexistent : diversifier l'approvisionnement en combustibles fossiles ou s'orienter vers plus de renouvelables ?

A court terme, la première option semble être privilégiée car plus facile à mettre en place. Cela s’illustre notamment par l'augmentation vertigineuse du prix du charbon passant de $82 la tonne à $400 tonne mi-mars.

En parallèle, la problématique du réchauffement climatique est bien réelle et l'action urgente. La fenêtre d’opportunité se raccourcit : les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de 40% d’ici 2030.

Dans quelle mesure la crise ukrainienne peut-elle servir de catalyseur pour accélérer la transition, ou sera-t-elle sacrifiée au nom de la sécurité énergétique ?

La réponse à cette question diffère en fonction des pays. Intéressons-nous aux cas de 2 des principales zones économiques : UE et USA.

 

Union européenne : une dépendance énergétique importante

35% de la consommation de gaz en Europe vient de Russie, héritage de la politique menée dans les années 80.

Comment décarboner le mix énergétique européen tout en assurant la sécurité énergétique ?

Le mix énergétique européen diffère grandement d’un pays à l’autre mais au global, en 2019 il était le suivant : (i) 36% pétrole, (ii) 11% charbon, (iii) 22% gaz, (iv) 15% énergies renouvelables, (v) 13% nucléaire, (vi) 3% biomasse / autres.

A la différence des US, la problématique de la forte dépendance énergétique fait qu'ils ne peuvent avoir la même politique vis-à-vis de la Russie. L’essentiel du gaz et du pétrole étant importé de pays hors UE tels que : Russie, Iraq, Nigéria et Arabie Saoudite.

L'UE ne peut donc s'aligner avec les US et imposer un embargo sur la totalité des importations de pétrole et de gaz russes. En France, le ministre de l'économie appelle les français à plus de sobriété et à baisser de 1° leur chauffage, ce qui permettrait à l'Europe d'économiser 10 milliards de m3 de gaz par an, soit 2.5% de la consommation de gaz en Europe.

La transition énergétique en danger ?

L’UE a un objectif ambitieux en matière de réduction ses émissions de gaz à effets de serre, moins 55% d’ici 2030. La situation actuelle avec la Russie crée des contraintes supplémentaires avec des risques d’approvisionnement. Le charbon fait donc partie de la solution à court terme ce qui n’est pas idéal pour atteindre la neutralité carbone.

Dans un premier temps, la diversification des sources d’approvisionnement reste la clef de cette sortie de crise. Ainsi, la Chine a diversifié ses sources d’énergie (eg. Asie et Afrique) et les US ont recentré les importations sur le continent américain. L’Europe paie aujourd’hui le prix du manque de diversification.

Cependant, avec la hausse des prix des énergies fossiles, et l’absence de garantie de livraisons, les solutions décarbonées gagnent en attractivité et permettront d'atteindre cet objectif. Il est donc crucial d’accélérer le développement des énergies renouvelables.

Comment allier transition et indépendance énergétique à moyen et long terme ?

En 2021, l’UE a importé l’équivalent de 155bcm de gaz de Russie, soit 35% de sa consommation. Comment réduire ce volume ?

L’UE a annoncé l’été dernier le plan Fit For 55 qui permettra de réduire la consommation totale de gaz de 30% d’ici 2030, soit 100bcm de gaz.

Pour répondre à court terme au problème de dépendance énergétique à la Russie, la Commission Européenne a mis en place en mars 2022 le plan RePower EU. Cela permettra de remplacer d’ici la fin de l’année, 2/3 des importations de gaz Russes (100bcm) : (i) 60% via la diversification de l’approvisionnement (Azerbaïdjan, Algérie, Qatar et US), (ii) 15% en améliorant l’efficience énergétique et(iii) 25% en accélérant le déploiement des énergies renouvelables.

Les énergies renouvelables, devenues plus abordables que le gaz, sont aussi la clé de l’indépendance énergétique européenne avec l’installation de panneaux solaires (atteindre 1terawatt de capacité d'ici 2030) et de pompes à chaleur (10millions d'unités en 5ans). L’Europe pourra dès la fin 2022 avoir près de 25% de sa production électrique en provenance du solaire.

De plus, les Vingt-Sept veulent développer des systèmes de stockages communs pour le gaz et mutualiser l’achat.

Dès le mois d’octobre, les pipelines de gaz en UE devront être remplis à 90% de leur capacité (actuellement nous sommes à moins de 30%).

En résumé, la commission européenne veut se baser sur 3 piliers : (i) la diversification de son approvisionnement, (ii) RePower EU via les énergies renouvelables et (iii) une efficience énergétique accrue.

Source : Paresh via Twitter

 

US : un isolationnisme énergétique

L'autosuffisance énergétique américaine, un exemple à suivre ?

Les Etats-Unis jouissent d'une indépendance énergétique plus accrue depuis la révolution du gaz de schiste sous l’ère Obama. Le mix énergétique américain en 2020 était le suivant : (i) 35% pétrole, (ii) 10% charbon, (iii) 34% gaz, (iv) 12% énergies renouvelables, (v) 9% nucléaire.

A ce stade, la crise ukrainienne n'a pas conduit à un bouleversement de la politique énergétique américaine. L’administration Biden a nuancé son hostilité concernant le gaz de schistes en exhortant les producteurs d’augmenter leur production sous peines d’amende en cas de sous-exploitation des licences. Les Etats-Unis tentent d'apaiser les tensions sur le marché pétrolier en relâchement d'un million de baril de pétrole par jour de leurs réserves stratégiques jusqu'en décembre.

Quelles mesures en réaction à la crise Ukrainienne ?

Aux grands maux, les grands moyens, le président américain a eu recours au Defensive Production Act afin de stimuler la production de terre rares (cobalt, nickel) sur le sol américain, éléments essentiels pour réussir la transition énergétique.

A ce stade, toute politique ambitieuse de la part des Etats Unis sur la transition énergétiques est bloquée par le Sénat américain. Toute nouvelle législation attendra les élections de mi-mandat. L'administration Biden tente de passer par la petite porte en réintroduisant certains éléments du plan Build Back Better dans le nouveau budget de l’administration. Ce dernier inclut 45 milliards de dollars dédiés à la transition énergétique avec 9,2 milliards de dollars dédié à la recherche dans les énergies renouvelables et 200 millions de dollars pour favoriser le développement domestique de l'industrie des panneaux solaires.

Selon les rumeurs, la guerre en Ukraine pourrait aussi favoriser un accord partisan sur plusieurs crédit d'impôts concernant la production d'hydrogène, de nucléaire et l'installation de panneaux solaires résidentiel.

En résumé, l'urgence est moins prégnante aux Etats-Unis grâce à la manne du gaz de schistes. La politique énergétique américaine est pour l'instant prise en otage par l'agenda politique. En effet, les derniers sondages révèlent que les électeurs considèrent que c'est avant tout la politique de Biden qui est responsable de l'inflation galopante (40% des sondés) et non les sanctions contre la Russie (21% des sondés). La détente du prix du pétrole est donc la principale boussole de la politique américaine.

Conclusion

A court terme, les états doivent faire face à l'inquiétude de leur population quant à la hausse vertigineuse de la facture énergétique et éviter les fermetures d'usines en raison du manque d'énergie comme on a pu le voir brièvement en Allemagne et en Autriche. C'est pourquoi, ils s'efforcent de diversifier leurs approvisionnements en gaz et pétrole ou même stimuler la production domestique. On pourra par exemple noter l'attitude plus conciliante du premier ministre britannique envers des licences d'exploration de gaz de schiste alors que le pays se veut être exemplaire dans sa transition énergétique.

Toutefois, cela n'annonce pas la fin des renouvelables. Même si les énergies fossiles représentent encore 80% du mix énergétique mondial, les renouvelables sont les seules à donner la liberté de disposer d'une source d'énergie propre, peu chère et disponible sur tous les territoires. La guerre en Ukraine accélère donc la prise de conscience que les énergies renouvelables permettent de concilier transition et sécurité énergétique.

En effet, l'attractivité des énergies renouvelables, déjà réelle en 2021 face au charbon, s'est vu renforcée à la suite du renchérissement récent des prix des énergies fossiles.

Coût actualisé de différentes sources d'énergies.

Source : Agence International de l'énergie.

Le plan RePower EU est l'illustration même que l'indépendance énergétique peut passer par une accélération des renouvelables. A ce stade, le calendrier électoral américain empêche tout nouveau développement majeur.

Le défi de la neutralité carbone reste aussi intact et devrait favoriser l'essor des énergies propres. En effet, il existe encore des écarts conséquents entre les prévisions d'installations de capacités solaire et éoliennes d'ici 2030 et les capacités requises pour atteindre la neutralité carbone en 2030.

Sources : BNEF via Financial Times

La bonne nouvelle est que la dynamique verte semble enclenchée et cela se reflète dans le mix énergétique mondial où nous retrouvons les énergies renouvelables et le nucléaire (38%) devant le charbon (36%) pour la première fois en 2021, selon le cabinet Ember.

Considérations boursières

La situation actuelle est compliquée et nécessite des efforts de la part des états et des citoyens mais des entreprises innovantes existent et peuvent aider à accroitre la sécurité énergétique tout en restant alignés avec l'accord de Paris. Ces sociétés appartiennent à plusieurs thématiques :

  • La rénovation des bâtiments et l'efficience énergétique : le bâtiment représente 40% de la consommation énergétique européenne. La commission européenne souhaite doubler le taux de rénovation en 10 ans, soit 5M de bâtiments par an. Ceci offre de belles opportunités pour des acteurs tels que Nibe, Sika, Saint Gobain, Schneider Electric en Europe ou encore Owens Corning aux US.
  • Les énergies renouvelables : Après avoir souffert de la hausse des matières premières en Janvier, les valeurs des énergies renouvelables ont fortement rebondi bénéficiant d'un regain d'intérêt des investisseurs. Ainsi, l'univers du solaire a repris 31,6% depuis fin février, 14,2% pour les valeurs éoliennes et 35% pour la galaxie hydrogène.  On soulignera notamment les très bons de résultats annuels d'Enphase (solaire US) qui défie les problèmes des chaînes logistiques, le relèvement des ambitions moyen termes (25-30% de croissance) de Solar Edge lors de sa journée investisseurs et la surprise positive du marché à la suite des commandes records de Vestas au premier trimestre 2022 (2,18 GWh).

Achevé de rédiger le 7 avril 2022

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