RECHERCHEZ UN FONDS

Selon une étude* réalisée par le World Benchmarking Alliance (WBA), sur un échantillon de 55 entreprises mondiales les plus influentes du secteur de l’habillement, 62 % ont obtenu une note inférieure à 20/100 sur les indicateurs relatifs aux droits de l'homme en 2023.

Des enjeux sociaux forts tout le long de la chaîne d’approvisionnement.

Le secteur du textile se caractérise par un marché ultra concurrentiel, une chaîne d’approvisionnement mondiale et multicouches et un déséquilibre des pouvoirs en faveur des donneurs d’ordres au détriment des fournisseurs/sous‑traitants. Ceci alors que les risques sociaux sont forts tout le long de la chaîne d’approvisionnement compte tenu du modèle d’affaire de l’industrie et de la localisation géographique des matières premières (soie, coton...), mais aussi des ateliers de confection dans les pays émergents et en développement.

En amont de la chaîne, les matières premières proviennent majoritairement d’une multitude de petites exploitations agricoles. Le manque de structures, de réglementations et de contrôles favorise les contrats informels mal payés, l’exploitation de personnes vulnérables ou encore des lacunes en matière de santé et sécurité (exposition aux pesticides, conditions climatiques...).

La filière du coton est un cas concret. 78 % du coton mondial serait produit par de petits exploitants agricoles. Selon l’Organisation Internationale du Travail et le Département du Travail des États‑Unis, il s’agit de l'une des matières premières les plus couramment produite par le travail des enfants et le travail forcé. Aussi, 20 % de la production mondiale provient de la région du Xinjiang en Chine, où des plaintes liées au travail forcé des minorités Ouïghours de la part des ONG sont récurrentes.

Source : US Department of labor – 2022 list of goods produced by child labor or forced labor

La recherche de bas coûts et la quête de volumes (dans les modèles de « fast fashion ») par les donneurs d’ordre a permis à l’Asie de s’imposer comme le plus grand fabricant de textiles avec près de 54 % des exportations mondiales en 2022 selon l’Organisation mondiale du commerce. Mais à quel prix ? Dans les ateliers de confection, la main d’œuvre y est peu chère, car souvent peu qualifiée et vulnérable, les minimas sociaux plus bas (faibles niveaux de négociation collective) et les contrôles moins fréquents compte tenu, là encore, de la complexité de la chaîne et d’une réglementation plus faible. En outre, le continent s’est doté de systèmes de production de masse imposant aux fournisseurs et sous‑traitants une cadence importante. Ceci exacerbe les risques liés aux droits de l'homme et du travail (violations des horaires, salaire décent, problématiques de santé et de sécurité...) ainsi que le développement de modèles informels liés à une sous‑traitance non autorisée et des lieux de travail non déclarés. À titre d’exemple, au Bangladesh, 86 % des travailleurs des ateliers non clandestins de textile étaient non déclarés en 2017 :

Source : International Labor Organization – Employment, wages and productivity trends in the Asian garment sector (2022)

L’enjeu reste très actuel. Les manifestations des travailleurs du textile au Bangladesh en octobre et novembre 2023, liées à la problématique du salaire décent, constituent un rappel brutal sur cette triste réalité. Ces salariés réclamaient un salaire minimum mensuel de 23 000 takas (environ 190 €) contre 8 300 takas aujourd’hui (environ 68 €). Or, d'après l'Alliance pour des salaires de subsistance en Asie, une famille de quatre personnes aurait besoin de 53 000 takas (environ 437 €) pour subvenir à ses besoins.

Une prise de conscience encore insuffisante.

Si l’on constate une prise de conscience progressive concernant les enjeux sociaux de la part des entreprises et des parties prenantes (plus ou moins forte selon les zones géographiques), elle reste encore trop faible lorsque l’on appréhende la chaîne d’approvisionnement. En effet, selon l’étude* du WBA, 57 % des entreprises de l’industrie n'identifient pas tous leurs fournisseurs directs et indirects. En l'absence d’une cartographie fiable, elles n'ont aucun moyen de protéger les travailleurs. Les enjeux de transparence, de traçabilité et de contrôle sont donc importants. De plus, 93 % des entreprises attendent de leurs fournisseurs qu'ils respectent les droits humains, mais moins d'un tiers d'entre elles prennent des mesures concrètes afin de favoriser les bonnes pratiques chez leurs fournisseurs, limitant ainsi leur responsabilité en matière de progrès social et d'amélioration des conditions de travail.

Et pourtant, l’absence de ces mesures expose les entreprises aux risques :

  1. De réputation : 66 %* des sociétés de l’habillement sont exposés à une ou plusieurs controverses sur le travail forcé ;
  2. Opérationnels : fermetures d’usines liées à des manifestations, des accidents... ;
  3. Financiers : baisse des cours de l’action en cas de controverse (ex : ‑ 28 % pour Boohoo en 2020 suite à des allégations d’exploitation de travailleurs dans l’usine d’un sous‑traitant à Leicester, ‑ 6 % et ‑ 4 % respectivement pour Puma et Adidas en décembre 2023 liées à des allégations de travail forcé des Ouïghours dans leurs chaînes d’approvisionnements) ou potentielles amendes.

Ainsi, des efforts sont attendus de la part des donneurs d’ordre par le biais de politiques et d'accords contractuels, mais aussi via des procédures de diligence raisonnable en matière de droits de l'homme et du travail dans la chaîne d'approvisionnement. Les évolutions réglementaires récentes en Europe devraient contribuer à changer la donne.

La solution par la réglementation ?

Le 14 décembre dernier, les instances européennes ont validé la version finale de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité dont l’entrée en vigueur est prévue dès 2024 (avec 2 ans pour le transposer en loi nationale). Elle impose aux entreprises l'obligation d'identifier, de prévenir et de remédier à l’impact négatif de leurs activités sur l’ensemble de la chaîne de valeur notamment sur les droits de l'homme (travail des enfants, esclavage, exploitation du travail...). La définition et le périmètre de la chaîne de valeur n’ont toutefois pas encore été communiqués à ce stade. La directive s’appliquera aux sociétés européennes et non européennes à partir de certains seuils, ces derniers étant plus contraignants pour les secteurs à « haut risque » : plus de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires dépasse les 40 M€ si 50 % est réalisé dans la fabrication et le commerce de gros de textile ou encore l’habillement par exemple.

Des autorités réglementaires, nommées par pays, pourront imposer des amendes aux entreprises jugées non conformes pouvant aller jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires mondial net. Les entreprises seront ainsi juridiquement responsables, même si cette directive introduit uniquement une obligation de moyen et non de résultat.

Cette réglementation sera complémentaire à la CSRD (obligation de publier un reporting ESG audité pour les entreprises européennes à partir de 2025, avec là aussi l’application de seuils), dont l’un des 4 standards sociaux porte sur les travailleurs dans la chaîne de valeur.

La question de la juste répartition de la valeur et du salaire décent reste toutefois en suspens. Le rôle des investisseurs apparaît alors comme central pour agir sur ce sujet et assurer le progrès social.

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Achevé de rédiger le 2 janvier 2024

* - World Benchmarking Alliance ‑ Corporate human rights benchmark 2023

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